Ameublement

Lorsque j'étais encore interne, on avait discuté de la disposition de nos bureaux, de nos chaises, de l'agencement de la pièce, de ce qu'on en imaginait. Tout ça reflétait aussi notre façon de faire, notre façon d'exercer, notre façon d'être. Un bureau. Pas de bureau. Une chaise. Un tabouret. Un écran. Où. Comment. Quoi d'autre. Comment se projète-t-on dans notre exercice futur? quelle place notre maître de stage nous-a-t-il laissé lorsqu'il ou elle nous a accueilli.

Cette histoire d'ameublement, c'est un peu la continuité de toutes ces fois où nous nous sommes assis, externes ou internes, au chevet d'un patient pour mener l'entretien qui permettrait de rédiger le dossier et d'y inscrire selon notre avancement dans les études s'ils avaient trois chats et deux poissons rouges (attention aux maladies contagieuses!) ou une synthèse mieux rédigée. 

Je me rappelle, ma première annonce de cancer toute seule. C'était une dame, la cinquantaine, pour un cancer du sein. Elle savait qu'on allait parler de ses résultats de biopsie. Elle savait dès le début que ce ne serait pas une bonne nouvelle. Je crois qu'elle a senti que j'étais à son écoute, à son entière écoute, et ce parce que tout était déjà planifié*. Ma remplacée avait une disposition de bureau collé contre le mur, je n'aimais pas trop ça la plupart du temps car j'étais mal installée. Mais ce jour là, c'était la disposition parfaite. J'étais tout près, je lui ai tendu la main, on a prononcé le mot cancer, comme dans la reco. Elle m'a dit "J'ai compris, sinon vous m'auriez appelée avant, peut-on appeler ma fille ensemble?". Cette femme était d'une force incroyable, ça irait. Ça a été. 

Le bureau est quelques fois le dernier rempart pour se sentir protégé. Il permet d'avoir cette distance minimale, comme une protection qu'on se crée lorsqu'on ne se sent soi même pas en sécurité. Lorsqu'il y a tout un tas d'alarmes bidales qui s'allument en consultation, lorsque nous-mêmes avons besoin de cette distance, pour pouvoir réfléchir, se poser. Continuer de prendre soin malgré notre humanité à nous, qui nous fragilise aussi un peu. 


*ce que j'ai appris récemment sur Twitter, c'est aussi de faire attention avec les planifications. Le géant Doctoslip étant infiltré partout, les patient.e.s sont parfois au courant des rendez-vous programmés avant même qu'on leur en ait parlé. Ça aurait été dommage, ici

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