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Affichage des articles du octobre, 2020

De l'importance d'ouvrir l'oreille,

J'étais alors interne aux urgences. Comme dans beaucoup de services d'urgences, il y avait des habitués. Lui, c'était l'habitué de fin d'après midi. Dialysé, une histoire gastrique pas claire, altéré par la vie. Il venait régulièrement, en fin de journée, hurler qu'il avait mal au ventre. "De la morphine", c'était à peu près ses seuls mots. Pour l'équipe, c'était une sorte d'addiction aux opiacés, un shoot à venir chercher lorsqu'il n'avait pas sa dose. J'avais vu plusieurs fois son nom sur le logiciel. La première fois que j'avais du prendre en charge son dossier, j'avais appelé son néphrologue et le gastro-entérologue qui avait fait la dernière fibroscopie pour y voir plus clair. Ils étaient rassurants. Il avait des douleurs chroniques, il fallait le soulager, c'était tout. La sénior m'avait briefée, un peu d'antalgiques dans la perfusion et retour maison. On faisait quand même le point sur sa douleur a

Ameublement

Lorsque j'étais encore interne, on avait discuté de la disposition de nos bureaux, de nos chaises, de l'agencement de la pièce, de ce qu'on en imaginait. Tout ça reflétait aussi notre façon de faire, notre façon d'exercer, notre façon d'être. Un bureau. Pas de bureau. Une chaise. Un tabouret. Un écran. Où. Comment. Quoi d'autre. Comment se projète-t-on dans notre exercice futur? quelle place notre maître de stage nous-a-t-il laissé lorsqu'il ou elle nous a accueilli. Cette histoire d'ameublement, c'est un peu la continuité de toutes ces fois où nous nous sommes assis, externes ou internes, au chevet d'un patient pour mener l'entretien qui permettrait de rédiger le dossier et d'y inscrire selon notre avancement dans les études s'ils avaient trois chats et deux poissons rouges (attention aux maladies contagieuses!) ou une synthèse mieux rédigée.  Je me rappelle, ma première annonce de cancer toute seule. C'était une dame, la cinquan

Laissons entrer la musique

J’aime rarement les consultations où il faut faire des vaccins. Parce qu'il y a souvent de la peur, beaucoup de peur. Autour de l’aiguille, du produit, du geste, de ses conséquences, de ce qui pourrait se dire dans l’entourage ou sur la toile, ou encore d’autres enjeux que l’on n’imagine même pas. Parfois il y a un mauvais souvenir, une douleur qu’on pourrait réveiller en injectant le produit. Il y a ceux qui veulent voir, ceux qui ne veulent surtout pas savoir, il y en a parfois d’autres qui adorent les piqûres, mais on ne va pas se mentir, ils représentent une minorité des patients consultant pour une vaccination.  Et puis il y a lui, douze ans. En le recevant, je me suis rappelée la dernière consultation. L’an dernier c’était le moment de son rappel. Il était terrorisé, vraiment. Il s’était tellement débattu qu’on avait temporisé. Rien ne pressait, et la seule chose qu’on risquait de réussir en forçant ce rappel vaccinal, c’était de lui donner un souvenir douloureux, comme ceux

L'approche centrée patient

Elle a la soixante-dizaine, je l’ai connue quand je remplaçais DrAgibus. A l’époque, on lui avait diagnostiqué un cancer. A part ça, son tabac lui avait donné un peu de BPCO, quelques vaisseaux pas forcément en forme et de fait, très douloureux, et une tension déséquilibrée. On l’avait opérée de son cancer, et elle sortait d’hospitalisation quand on s’est rencontrées. Comme beaucoup, elle est sortie sous antalgiques de palier 2. La codéine. Avec donc, du paracétamol. Sauf que, le cancer, la vie l’avaient bien trop amaigrie pour ces doses de paracétamol accolées à la codéine, qui n’était d’ailleurs pas assez efficace. On est donc passées à la morphine, après un temps d’appréhension. Pour elle, pour moi. Et si on n’arrêtait jamais. Et si on ne trouvait pas la bonne dose. Et si il y avait trop d’effets indésirables. Et si… Elle a toujours eu ce soucis de ne pas « trop » prendre, d’adapter la dose, on a changé souvent. Un jour, alors qu’on avait diagnostiqué un 2 e  cancer, et que les doul

2020,

Deux mille vingt. Cette année un peu folle qui aura un peu chamboulé notre métier, en y intégrant de nombreux protocoles, se renouvelant sans cesse, sans compter un certain stress associé à la pandémie qui les a engendrés. Au milieu de tout ça, il y a nous, médecins, soignants, aidants, patients, masqués.  Ce blog est une pause dans le tourbillon des consignes sanitaires, un retour à l'essentiel. A travers ce blog, j'ai eu l'envie de poser ce qui fait de notre métier l'exceptionnel du lien. La relation unique qui peut se jouer au cours d'une consultation. Aujourd'hui, on m'a dit que les "spécialistes d'organes s'occupent d'organes et les médecins généralistes de patients". Je crois qu'on s'occupe aussi et surtout de personnes.  Alors, allons-y, prenons le temps de reprendre un peu de fraicheur et d'observer les paillettes de nos consultations, qui pétillent encore un peu. Docteure Pétronille