Laissons entrer la musique

J’aime rarement les consultations où il faut faire des vaccins. Parce qu'il y a souvent de la peur, beaucoup de peur. Autour de l’aiguille, du produit, du geste, de ses conséquences, de ce qui pourrait se dire dans l’entourage ou sur la toile, ou encore d’autres enjeux que l’on n’imagine même pas. Parfois il y a un mauvais souvenir, une douleur qu’on pourrait réveiller en injectant le produit. Il y a ceux qui veulent voir, ceux qui ne veulent surtout pas savoir, il y en a parfois d’autres qui adorent les piqûres, mais on ne va pas se mentir, ils représentent une minorité des patients consultant pour une vaccination. 

Et puis il y a lui, douze ans. En le recevant, je me suis rappelée la dernière consultation. L’an dernier c’était le moment de son rappel. Il était terrorisé, vraiment. Il s’était tellement débattu qu’on avait temporisé. Rien ne pressait, et la seule chose qu’on risquait de réussir en forçant ce rappel vaccinal, c’était de lui donner un souvenir douloureux, comme ceux qui se réveillent à chaque fois qu’il serait exposé à une situation similaire. Personne n'avait envie de ça. Ni sa mère, ni lui, ni moi. Alors, on avait passé un pacte en se frappant dans les mains. On s’était dit que l’an prochain ça irait mieux avec l’âge et avec les patchs magiques qui rassurent. Il est sorti soulagé, mais encore un peu tremblant. 

Aujourd’hui, il est là. Il est venu avec son père, il a grandi d'une année. Il sait, il a peur. Il commence déjà à se tortiller sur sa chaise. On reparle du pacte. Il s’en souvient, grimace évidemment. Il avait dit oui, et il s’en rappelle. Ce n’est pas pour autant que c’est simple aujourd’hui. Alors on a créé un cocon. On a pris ce temps nécessaire pour chercher la musique qu’il aime. Il a changé d'avis, une fois, deux fois. Et puis on a lancé la musique. La publicité comme un peu de répit avant le vaccin. La chanson a débuté. Je ne la connaissais pas. Aux premières notes, il s'est transformé, il a arrêté de gigoter. Il chante, on parle de la chanson, je désinfecte, la chanson recommence. Voilà c'est terminé. Il est dans sa bulle, il danse sur la musique. Il n’a rien senti. Après ça, on a baissé petit à petit le volume de la chanson, de ce repère rassurant, et on a repris la consultation. On a pu parler de son sommeil, de la rentrée scolaire, de jeux vidéo, de la vie confinée et déconfinée, de son "emploi du temps de ministre". 

C’était une consultation réussie, loin de celle de l'an passé. Un défi relevé haut la main pour lui. Alors tant pis pour les consignes sanitaires, on a de nouveau tapé dans nos mains. Il est reparti avec le sourire, vacciné, avec l’espoir que la phobie du dentiste pourrait aussi s'apaiser comme on avait endormi celle des vaccins.

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