L'approche centrée patient

Elle a la soixante-dizaine, je l’ai connue quand je remplaçais DrAgibus. A l’époque, on lui avait diagnostiqué un cancer. A part ça, son tabac lui avait donné un peu de BPCO, quelques vaisseaux pas forcément en forme et de fait, très douloureux, et une tension déséquilibrée. On l’avait opérée de son cancer, et elle sortait d’hospitalisation quand on s’est rencontrées.

Comme beaucoup, elle est sortie sous antalgiques de palier 2. La codéine. Avec donc, du paracétamol. Sauf que, le cancer, la vie l’avaient bien trop amaigrie pour ces doses de paracétamol accolées à la codéine, qui n’était d’ailleurs pas assez efficace. On est donc passées à la morphine, après un temps d’appréhension. Pour elle, pour moi. Et si on n’arrêtait jamais. Et si on ne trouvait pas la bonne dose. Et si il y avait trop d’effets indésirables. Et si… Elle a toujours eu ce soucis de ne pas « trop » prendre, d’adapter la dose, on a changé souvent. Un jour, alors qu’on avait diagnostiqué un 2e cancer, et que les douleurs étaient revenues petit à petit, mais encore un peu contrôlées, un rhumato lui a dit qu’elle allait « être une junkie », qu’il fallait repasser à la codéine. Pour elle comme pour moi, cet épisode avait été l’impression de fauter, elle ne comprenait pas, comment on pouvait autant la juger alors que c’était ce qui la faisait tenir. En en parlant, on a aussi compris avoir bien fait. Ça l’avait transformée. Reprise des activités sportives, jardin, sorties.  Elle est toujours sous morphine, probablement pour toujours. 
Pour le reste de son traitement, comme souvent, DrAgibus avait tout tenté pour la tension, comme souvent, je me retrouvais derrière à ne pas trop savoir quoi faire maintenant que tout avait été tenté. Pour ça, on a retenté des choses, et puis on a convenu, implicitement, d’arrêter de mesurer parce que de toute manière, elle ne pourrait pas prendre plus que le nicardipine 20, seul qu’elle tolère, une fois par jour, une dose pas tellement efficace, mais mieux que rien. 
Avec cette patiente, j’ai appris la résilience, un peu. L’accompagnement dans ses décisions à elle, beaucoup. Nos consultations ressemblent à une évaluation basée sur la capacité à aller au jardin, la tolérance des traitements et ses choix sur ce qu’elle souhaite poursuivre ou arrêter, dans les traitements comme le reste. Une sorte de respect de ses choix, avec en toile de fond l’acceptation que la médecine ne pouvait pas tout, mais qu’elle serait au centre des décisions concernant ses soins. Est-ce qu’au fond, c’est ça qu’on appelle l’approche centrée patient ? 
 
Sur ce blog du Dr Agibus, on parle beaucoup de preuves, de ce qu’on peut proposer comme thérapeutiques, notamment sur les risques cardio-vasculaires et la prise en charge de l’HTA, on recherche les meilleures molécules pour nos patients (la dépendance aux opiacés est un véritable problème, on en parle ici). Et puis au final, on se prend aussi la réalité de la relation qui se tisse au fil des mois et des patients qui ne ressemblent pas toujours à nos livres, encore moins aux études très sélectives dans leurs populations. Ce blog, cette veille bibliographique du DrAgibus (car oui, jamais on ne le remerciera assez), c’est ce qui nous permet de prendre un peu confiance dans les connaissances, pour se laisser aller à la relation. Pour donner aux soignants comme aux patients les cartes pour décider. 

Commentaires

  1. Quel doux démarrage et quelle finesse.
    Très juste.
    Bon début de blog Mme Paillette.
    M.

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  2. Quel doux démarrage et quelle finesse.
    Très juste.
    Bon début de blog Mme Paillette.
    M.

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  3. Bonsoir,
    Merci pour ce billet, du début à la fin! Le web s'est un peu tari en histoires de vie au cabinet et hors du cabinet si tu abordes ça aussi plus tard.
    Bon courage et merci pour tout ce que ton point de vue pourra apporter aux lecteurs !
    Biz!

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  4. Très cool comme billet
    Ca se lit facilement et ça expose bien le genre de situation qui se passe dans "la vraie vie"
    Je pense que c'est une lecture très interessante pour les internes (et pas que)

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  5. Bon démarrage de blog Dr Petronille. 1ère histoire très instructive à plusieurs niveaux.

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  6. Un bien jolie début 🥰 hâte de lire la suite !

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  7. Oh mais quel joli billet ! Cette patiente a eu bien de la chance de tomber sur une médecin prête à entendre ce qu'elle souhaitait pour elle, et pas juste collée à ses livres.
    Hâte de lire tes prochains articles !

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