Bribes d'externat

Externe. Le temps hors stage était rempli de livres multicolores, surlignés méthodiquement, maladroitement, fichés, oubliés, réappris mille fois. Le temps en stage m'a appris un peu ce que je voulais être, ce que je ne voulais pas être. 

Réanimation. Je n'avais pas voulu aller là bas, mais ça validait le stage obligatoire de chirurgie. Mais je trouvais déjà ça effrayant, à l'époque. Aujourd'hui encore plus, à cause du contexte sanitaire. Alors voilà, j'ai atterri là, à remplir des pancartes avec les bip bip et les lumières particulières de ce service. Et puis il y avait ce monsieur, ce "dossier pas intéressant mais il faut un externe pour la pancarte". Un patient chronique, trachéotomisé, ventilé là dessus, non communiquant, mais vigilant. Tous les jours pendant 3 mois, j'allais le voir. Il n'y avait "rien" à faire, il était stable, remplir la pancarte. Alors, passée l'auscultation systématique, je lui prenais la main pour communiquer. Oui, une fois. Non, deux fois. De cette manière, on a créé un lien. J'ai appris qu'il lui manquait des informations de l'extérieur, après ces mois attaché à ce tuyau qui lui permettait de respirer. C'était les élections présidentielles. Tous les jours je lui parlais des statistiques prévisionnelles, des projets des uns et des autres. A la fin du stage, j'avais pu présenter la synthèse de ses mois en réa, non sans une certaine fierté, rendant ce dossier vivant. 

Cardiologie. Il y avait ce chouette chef de service. Il a commencé notre stage en nous apprenant à nous présenter, à prendre soin, il nous faisait toujours réécouter les souffles avec son stéthoscope de compétition, nous montrait les manoeuvres de réduction de tachycardie en garde. Dans ce service, j'ai dessiné des coronaires et les principes de la coronarographie à un artiste exposé à Beaubourg, autant dire que c'était un peu ridicule, mon dessin, mais c'était une des échanges les plus remarquables de mon externat. Il y avait eu ce monsieur, très âgé, à qui on avait du poser une sonde naso-gastrique en garde parce que son coeur comprimait l'estomac, ou quelque chose comme ça, il vomissait, il vomissait. La sonde ne passait pas, il souffrait terriblement. Alors, je lui ai tendu la main. Il l'a serrée tellement fort.  Et puis la sonde est passée. Il a pleuré, arrêté de vomir et enfin s'endormir. 

Urgences. J'y ai appris que j'avais le droit d'avoir raison, même en étant tout en bas de la pyramide hiérarchique. Il y avait cette dame qui venait pour des symptômes neurologiques. AVC, c'était écrit sur le motif d'accueil. Moi je n'ai pas senti les pouls, j'en ai parlé au neurologue qui est venu rapport à l'AVC écrit sur son dossier à l'accueil, et qu'il était déjà appelé avant même que j'aille la voir. Il était allé la voir, et avait négocié l'IRM. Cette histoire de pouls, j'en ai parlé à l'étudiante IDE, lui demandant de mesurer la tension aux deux bras. La patiente est partie à l'IRM, la tension avait été "imprenable" pour problème technique. De l'IRM elle est partie directement en neurologie. Je trouvais ça bizarre, l'IRM était normale. Et puis, ils ont vu l'aorte sur les coupes basses des clichés. Elle est repassée en urgence en imagerie et a été transférée. Je me rappelle, j'étais allée en radio voir l'imagerie. Elle a été transférée en urgence, on avait perdu deux heures.  

Gynécologie. j'ai appris la vie, la non vie. Au creux de mes bras. Le regard des parents, la technicité de la chirurgie, l'attente du premier cri. J'ai vu des bébés pousser leur premier cri, et d'autres naitre sans vie.  Ces hommes et ces femmes qui rencontrent leurs enfants. Le son des monitos, le code rouge qui réveille toute personne en train de somnoler. Je me rappelle avoir brancardé à travers l'hôpital une dame en post partum dont le ventre était rempli de sang, et la panique dans ses yeux. Et puis les premiers examens gynécologiques maladroits. Je me rappelle mon refus, à l'époque, de faire un examen pelvien à une dame endormie, me valant d'être exclue du bloc. Je me rappelle ces consultations d'annonce de cancer du sein, beaucoup trop rapides. Je me rappelle les interruptions non volontaires de grossesse, aux urgences, et la tristesse infinie. 

Il y a eu aussi les vampires en pyjama, les bouts d'os coupés au bloc, les bons de radio, les résultats de radio à aller récupérer à l'autre bout de l'hôpital en médecine, les dossiers rangés, les dossiers perdus, les étiquettes collées sur chaque feuille, les visites professorales, les chefs absents, les fax faxés, les fax refaxés, les gardes sans fermer l'oeil, les examens, les rattrapages, le concours, les classements. Et nous dans tout ça?

On ne nait pas soignant. On devient le soignant qu'on s'autorise à être. Celui qui tiendra la main ou celui qui se cachera derrière une hypertechnicité et des mots trop techniques. Ces études nous apprennent à placer le soignant avant nous même, notre vie entre parenthèses. La vie nous rappelle que nous mêmes devons être placés avant ce métier, pour tenir, et aussi sans doute être meilleurs soignants.


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