Des assiettes et des cannes

A propos de ces femmes rencontrées au hasard des consultations. Elles sont mères, filles, entrepreneuses, salariées, mères au foyer, elles travaillent de jour, de nuit, jour et nuit. Leurs journées ne s’arrêtent jamais. Le travail, la charge de la maison, des enfants, des partenaires, porter aussi leur santé, les traitements, les rendez vous. Elles gèrent tout, et ne comprennent pas pourquoi elles sont fatiguées. Elles amènent leurs cicatrices, leurs menstrues, leurs larmes et leur histoire. 

Leur histoire, c’est souvent une histoire de violences. Dans la rue, au travail, à la maison. Cette patiente a l’Ehpad pas super qui se réjouit d’y être parce qu’on lui dit bonjour et qu’elle n’est plus frappée. Le décès de son mari a été une libération, plus personne ne lui jetterait plus de porcelaine au visage, elle n’irait plus aux urgences du fait de violences. Sa vie pouvait recommencer. Cette nouvelle patiente, plus de 90 ans, ou l’on met les pieds dans le plat. Qui prévenir en cas de décès. Sa fille, uniquement sa fille même si elle ne lui parle plus depuis des années, après avoir été trop témoin de violences conjugales. Des coups de canne des le lendemain du mariage, et toutes les taches de la maison incluant le ramonage des cheminées avec interdiction de travailler. Mais, dans sa famille, on ne divorce pas. Quand on veut un mariage, on va jusqu’au bout. Cette femme plus jeune, coincée par une dépendance financière à un conjoint qui passe son temps à la rabaisser, à faire les taches ménagères et élever les enfants puis les petits enfants. Cette femme, qui se décide enfin à faire son frottis, très tard, parce qu’elle entame un processus de réparation de son histoire de viol à l’adolescence. Cette femme qui revient d’une simple course à pied, rouée de coups, pour certifier des hématomes. Il y a toutes ces histoires qui se ressemblent, les yeux remplis de peurs et l’âme pleine de courage, pour tenir et affronter la vie.

Je ne cherche plus systématiquement les violences. Elles viennent d’elles mêmes. Elles bouleversent. A quel moment les consultations anodines de renouvèlement basculent du côté de la confidence ? Qu’apporte t’on vraiment à ces femmes? que retiennent elles de ces échanges ? Ces femmes ne passent pas à autre chose et pourtant, pour nous soignants, la consultation s’achève, il faut alors passer à autre chose.

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