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Des assiettes et des cannes

A propos de ces femmes rencontrées au hasard des consultations. Elles sont mères, filles, entrepreneuses, salariées, mères au foyer, elles travaillent de jour, de nuit, jour et nuit. Leurs journées ne s’arrêtent jamais. Le travail, la charge de la maison, des enfants, des partenaires, porter aussi leur santé, les traitements, les rendez vous. Elles gèrent tout, et ne comprennent pas pourquoi elles sont fatiguées. Elles amènent leurs cicatrices, leurs menstrues, leurs larmes et leur histoire.  Leur histoire, c’est souvent une histoire de violences. Dans la rue, au travail, à la maison. Cette patiente a l’Ehpad pas super qui se réjouit d’y être parce qu’on lui dit bonjour et qu’elle n’est plus frappée. Le décès de son mari a été une libération, plus personne ne lui jetterait plus de porcelaine au visage, elle n’irait plus aux urgences du fait de violences. Sa vie pouvait recommencer. Cette nouvelle patiente, plus de 90 ans, ou l’on met les pieds dans le plat. Qui prévenir en cas de décès

Bribes d'externat

Externe. Le temps hors stage était rempli de livres multicolores, surlignés méthodiquement, maladroitement, fichés, oubliés, réappris mille fois. Le temps en stage m'a appris un peu ce que je voulais être, ce que je ne voulais pas être.  Réanimation. Je n'avais pas voulu aller là bas, mais ça validait le stage obligatoire de chirurgie. Mais je trouvais déjà ça effrayant, à l'époque. Aujourd'hui encore plus, à cause du contexte sanitaire. Alors voilà, j'ai atterri là, à remplir des pancartes avec les bip bip et les lumières particulières de ce service. Et puis il y avait ce monsieur, ce "dossier pas intéressant mais il faut un externe pour la pancarte". Un patient chronique, trachéotomisé, ventilé là dessus, non communiquant, mais vigilant. Tous les jours pendant 3 mois, j'allais le voir. Il n'y avait "rien" à faire, il était stable, remplir la pancarte. Alors, passée l'auscultation systématique, je lui prenais la main pour communiquer

Crabes

Les cancers, ce sont ces cellules qui se multiplient, à l'infini, prennent l'énergie, et finissent parfois par gagner une lutte contre leur hôte. Les cancers, ça se dépiste, quelques fois, se soigne, souvent, et ne se guérit pas toujours. Parfois, il y en a un, parfois plusieurs . Mais avant d'être des cancers, ce sont des patient.es, avec leurs histoires.  Il y en a eu, des patientes avec leurs mammographies anormales. Alarmées, paniquées, accompagnées. Et cette dame, ma première annonce toute seule. J'étais remplaçante, c'était un mardi, le jour où je devais recevoir les résultats de biopsie. Rendez-vous en fin de la consultation pour avoir le temps. J'avais bien relu l'annonce de la mauvaise nouvelle, m'étais mémorisé ce que j'avais vu faire. Je n'étais quand même pas prête. J'avais cherché quelques repères, organisé les choses pour que ce soit clair pour elle, la suite, surtout pour me rassurer moi, d'avoir quelque chose à dire. Elle

Voyages, voyages,

Il y a ces consultations douces, qu'on aimerait laisser durer. Parfois, on ne fait pas vraiment de médecine, c'était un peu le cas mais dans toute cette agitation liée à la pandémie, aux vaccins, c'est doux, de ne pas absorber encore du stress et de l'anxiété. Aujourd'hui, il y a eu ce patient, que je suis depuis quelques temps, vu en urgence. Il s'est excusé plusieurs fois de me prendre du temps "précieux, en ce moment". Rien de grave, de l'épuisement lié au travail. Lui comme sa femme cumulent deux emplois, ils travaillent dur pour payer les études de leur fille unique, qui cumule deux licences. Leurs problèmes de santé sont ceux des travailleurs, les mains usées, les articulations rouillées, mais de l'énergie à revendre, une générosité incroyable. Il m'a raconté les petits boulots, le surmenage, la nécessité de continuer pour le moment, mais le besoin de stopper pour récupérer. Alors on va stopper, le temps qu'il faudra, pour pouvoir

De l'importance d'ouvrir l'oreille,

J'étais alors interne aux urgences. Comme dans beaucoup de services d'urgences, il y avait des habitués. Lui, c'était l'habitué de fin d'après midi. Dialysé, une histoire gastrique pas claire, altéré par la vie. Il venait régulièrement, en fin de journée, hurler qu'il avait mal au ventre. "De la morphine", c'était à peu près ses seuls mots. Pour l'équipe, c'était une sorte d'addiction aux opiacés, un shoot à venir chercher lorsqu'il n'avait pas sa dose. J'avais vu plusieurs fois son nom sur le logiciel. La première fois que j'avais du prendre en charge son dossier, j'avais appelé son néphrologue et le gastro-entérologue qui avait fait la dernière fibroscopie pour y voir plus clair. Ils étaient rassurants. Il avait des douleurs chroniques, il fallait le soulager, c'était tout. La sénior m'avait briefée, un peu d'antalgiques dans la perfusion et retour maison. On faisait quand même le point sur sa douleur a